Gerald Mangan: En partant de Dieppe

Le bateau blanc ronronne. Les matelots dans leurs cirés
enroulent le bout du fil,
et le tapage de la Manche sur l'avant
me secoue de mon sommeil. Au-delà du brise-lames,
dans l'aurore, je traverse le seuil
où la France devient ton visage.

Tandis que les mouettes se retirent, et que le pont basculant
évoque le tumulte du départ,
je m'agrippe, contre la rampe de la poupe,
au dernier geste que tu as fais:
sa façon de tomber, tandis que le garde sifflait,
et tu collais un baiser contre le verre.

Ta langue m'a entrée, mon amour :
ta langue reste encore sur mes lèvres.
Qu'est-ce que je gagne par cette traduction
à travers de l'eau, vers un horizon froid?
La proue fondue dans l'écume
est ton sein dans sa mousse de dentelle,

et chaque pensée est le poids d'une plume.
Ballotées de vague en vague, par des
trous sans fond, elles me laissent
sans rien d'autre à déclarer que ça.
Aucun mot n'a l'air de valoir ton toucher,
ni ne me calme, comme ta calme étreinte.


(Traduit par Asa Cusack)