Pablo Neruda: Poème I

Corps de femme, blanches collines, cuisses blanches,
Tu ressembles au monde dans ta posture d'abandon
Mon corps de laboureur sauvage te pioche
Et fait jaillir le fils du tréfonds de la terre.
J'étais seul comme un tunnel. Loin de moi fuyaient les oiseaux
Et en moi la nuit rentrait sa puissante invasion.
Pour me survivre je t'ai forgée comme une arme,
Comme une flèche sur mon arc, comme une pierre dans ma fronde.
Mais l'heure de la vengeance est échue, et je t'aime.
Corps de peau, de mousse, de lait avide et solide.
Ah ces verres de la poitrine ! Ah ces yeux d'absence !
Ah ces roses du pubis ! Ah ta voix lente et triste !
Corps de femme, ma femme, il perdurera dans ta grâce.
Ma soif, mon avidité sans limite, mon chemin indécis !
Obscurs canaux où la soif éternelle demeure,
Et la fatigue demeure, et la douleur infinie.


(Traduit par Francisco Roa Bastos)